L’insularité sous l’œil du pouvoir : le voyage en Corse au regard de la cartographie insulaire (1531-1634). Considérations autour du Dialogo nominato Corsica d’Agostino Giustiniani - Université de Corse Pasquale Paoli Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Astrolabe Année : 2020

L’insularité sous l’œil du pouvoir : le voyage en Corse au regard de la cartographie insulaire (1531-1634). Considérations autour du Dialogo nominato Corsica d’Agostino Giustiniani

Christophe Luzi

Résumé

La Corse en raison de sa situation géographique centrale en Méditerranée, demeure au cours des siècles le carrefour d’enjeux géo-stratégiques et commerciaux qui entretiennent la rivalité des peuples méditerranéens, désireux d’asseoir leurs places fortes, et d’implanter sur ses rivages, des comptoirs et des colonies. Victime du rôle qu’elle représente aux yeux des grandes puissances, l’île subit après la domination génoise (1567-1729) et durant les premiers temps encore troubles de son histoire moderne (1729-1769), le choc de modèles politiques et culturels concurrents qui coexistent même après la signature du traité de Versailles, le 15 mai 1768. A cet égard, il est intéressant de constater quelle place occupe la production cartographique et quels besoins (intimement liés au pouvoir) président à ses modalités de représentation, ne retenant que l’importance d’une vision d’ensemble de la Corse, liée à son contrôle direct, à sa possession, à sa mise en valeur agricole et démographique. La cartographie de cette période est le fait d’ingénieurs, de maîtres-architectes ou de « spécialistes » géographes, génois ou français, qui lui donnent indéniablement et malgré beaucoup d’approximations topographiques et toponymiques, une nature fondamentalement militaire ou administrative. En 1568, Leandro Alberti de Bologna fait paraître à Venise dans l’ouvrage Descrittione di tutta Italia, l’une des premières descriptions rigoureuses de la Corse, qui marque un progrès extraordinaire et sert de base aux cartes de Camocio (1570) et de Mercator (1590). Le Corsicae antiquae descriptio de l’allemand Philipp Clüver (1619), présente quelques années plus tard, une carte à la réelle dimension artistique. En plus de situer les lieux avec une précision remarquable, elle ouvre la voie à une série d’autres cartes aux relevés minutieux, harmonieusement illustrées (Magini, 1620 ; Sanson D’abbeville, 1656), qui se succèderont jusqu’au journal de voyage en Corse de James Boswell, An Account of Corsica, the journal of a tour to that island (carte réalisée par Thomas Phinn, 1769). A côté de cette première variété cartographique, qui rentre généralement dans un vaste programme de domination du territoire, existe une autre logique plus artisanale, essentiellement décorative, et qui ne paraît pas requérir d’objectif sinon celui de la découverte d’une île, peuplée de légendes purement pittoresques, fantaisistes, et même des fois curieuses. La carte de Munster (Cosmographie universelle, édition allemande de 1572) au tracé très grossier, s’accompagne de bateaux et de monstres marins. D’autres médiocres copies intercalent à côté de noms modernes, ceux de lieux hérités de Ptolémée, en les localisant avec plus ou moins de chance : l’Orthelius (1574) publiée dans le Theatrum orbis terrarum, la Manesson et Mallet (1683). Dans quel contexte prend place cette cartographie naissante de la Corse, et surtout qu’émerge-t-il au carrefour des pratiques d’expression narratives de la connaissance – les récits de voyage, les chroniques – et des pratiques d’expression picturales ? C’est une question que l’on peut légitimement poser. Il n’apparaît pas que l’exercice d’écriture de la chronique se soit prêté à un travail de description cartographique de la Corse, ni en remontant au XVe siècle à Giovanni della Grossa, ni plus tard chez Monteggiani : leur écriture est généralement faite de notes entreprises au gré de leurs déplacements, de faits qui sont estimés dignes de mention par l’auteur, auxquels s’ajoutent des documents compilés qui présentent des sources d’importance. Les chroniqueurs soulèvent le défi de comprendre l’histoire très trouble de la Corse, pour en jeter sur le papier les événements historiques plus ou moins marquants, les traits de mœurs, les particularismes linguistiques, mais pas la rationalisation territoriale de chaque pieve, susceptible de mieux faire exploiter l’île. En revanche, l’un des textes fondateurs du récit de voyage en Corse intitulé le Dialogo nominato Corsica, en français le « Dialogue appelé Corse », est écrit par un Génois, l’évêque Agostino Giustiniani. Ce récit prend bien au contraire des précédentes chroniques, toute une dimension géographique voire géostratégique qui le situe de plain-pied dans le contexte de la présence de la République de Gênes sur l’île. Il sera d’ailleurs réécrit et remanié par deux chroniqueurs : Marc'Antonio Ceccaldi, dans son Historia di Corsica, laquelle sera elle-même augmentée et réutilisée par Anton Pietro Filippini, qui s’attribue la totalité des travaux de ses devanciers. On ne trouve pas dans les autres récits de voyage en Corse au XVIe siècle de considérations versées dans le domaine cartographique, ni chez le florentin Gabriello Simeoni dans ses Illustres Observations antiques (1558), ni chez le padouan Giulio Vertunno, auteur du Viaggio et possesso di Corsica (1560). Quant au premier récit de voyage en Corse écrit en français, il est assez tardif : Les voyages et observations du sieur de La Boullaye Le Gouz datent en effet de 1653.

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Citer

Christophe Luzi. L’insularité sous l’œil du pouvoir : le voyage en Corse au regard de la cartographie insulaire (1531-1634). Considérations autour du Dialogo nominato Corsica d’Agostino Giustiniani. Astrolabe, 2020, 50, https://astrolabe.msh.uca.fr/emergences-de-la-geographie-franceitalie-xive-xviie-siecles-novembre-2020/dossier/l-insularite-sous-l-oeil-du-pouvoir-le-voyage-en-corse-au-regard-de-la-cartographie-insulaire-1531-1634. ⟨hal-02147312⟩
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